Ca y est, la bonne fenêtre est arrivée, et nous quittons enfin Port St-Louis du Rhône. C’est qu’il commence à faire froid (nous avons croisé un voilier qui laissait un sèche-cheveux tourner toute la nuit, faute de « vrai » chauffage). Surtout, cela fait presque un mois que nous sommes ici, et le côté terrain vague du chantier commence à nous lasser, surtout que la ligne d’horizon n’est pas folichonne non plus, encombrée de raffineries et de grues. Huapaé, le voilier course-croisière de nos nouveaux amis, part en même temps mais devrait arriver bien avant nous. Qu’importe, on se suivra à l’AIS et l’on pourra discuter à la VHF au milieu des longs quarts de nuit avant qu’ils nous aient complètement distancés.
Sitôt partis, les mauvaises surprises commencent, puisqu’à peine arrivés dans le golfe de Fos nous nous rendons compte que notre barre à roue ne répond plus très bien, et surtout que nous n’arrivons pas à remonter notre propulseur d’étrave, bloqué en position basse. Impossible de traverser dans ces conditions, puisque le moindre choc risquerait de l’arracher et de faire un trou dans la coque, un vrai cette fois-ci. Bref, Sarah nous déroute sur Marseille et annonce la mauvaise nouvelle à Huapaé tandis que je tente – à quatre pattes dans la soute à voiles – de comprendre ce qui a bien pu se passer.
En fait, ce n’est pas sorcier (attention, paragraphe technique, n’hésitez pas à le sauter). Notre propulseur de 8kW est en 24 volts pour limiter la section des câbles qui sont déjà énormes, ci-contre (Les pertes électriques sont proportionnelles à l’intensité et inversement proportionnelles à la taille du cable ; et à puissance égale, l’intensité est inversement proportionnelle à la tension, le fameux P=UI de notre enfance. Bref, en mélangeant tout ça, on voit que notre propulseur de 8kW « tire » 350 ampères en 24 volts, et 700 en 12 volts ; à titre de comparaison, un four domestique tire environ 5 ampères en 220 volts). Tout le bateau étant équipé en 12 Volts, il y a un astucieux système qui place les deux batteries en parallèle en temps normal pour qu’elles puissent être chargées, et en série quand on a besoin du 24 volts. Et cet astucieux système consomme plusieurs ampères, ce qui n’est pas grave au vu des intensités en jeu, à moins bien sûr qu’on le laisse malencontreusement allumé, car les batteries ne chargent plus pendant ce temps.
Bref, ce n’est pas la première fois que ça arrive, mais cette fois-ci ça a duré cinq jours, et ça a été le coup de grâce pour nos batteries qui n’étaient déjà plus très jeunes. Tout juste trouvent-elles la force, dans un ultime souffle, de remonter le fameux propulseur !
Le guindeau (aussi en 24 volts) ne doit pas fonctionner non plus, mais nous n’en avons pas besoin pour traverser, et l’avarie de barre ne nous inquiète pas plus que ça pour l’instant puisque c’est le pilote qui travaille ; et au pire, nous avons la barre franche de secours. Bref, nous annonçons a Huapaé la bonne nouvelle et faisons cap au Sud.
La fenêtre météo que nous avons choisie est vraiment parfaite : il y a 25 nœuds de vent tout le temps, ce qui nous permet d’avancer à près de 7 noeuds toutes voiles hautes. Il y a un peu de mer, mais ça reste raisonnable, environ 1m50 de trois quarts arrière. C’est notre première vraie traversée seuls avec Elaya, et nous optons pour une organisation assez classique : je m’occupe principalement du bateau, et Sarah d’Elaya. Quand les filles sont réveillées, ou que Sarah n’arrive pas à dormir, elle prend un quart pour que je puisse me reposer un peu. Elle me donne aussi un coup de main pour certaines manœuvres plus simples en duo (hisser ou affaler la grand-voile par exemple), et je prends Elaya avec moi quand l’occasion se présente.
Tout se passe bien pour moi, un peu moins pour Sarah, contrainte à passer de longs moments à l’intérieur pour jouer avec Elaya, la changer, la laver, l’allaiter, etc. (la météo est déjà automnale en partant de Port St Louis). En temps normal, il n’y aurait probablement pas eu de hic, mais après un mois passé à terre, ma co-capitaine a besoin de se réamariner.
La surprise du jour, c’est que Huapaé n’avance guère plus vite que Lucy : nous nous payons même le luxe de les dépasser au milieu de la nuit. Il faut dire qu’ils ont mis le frein à main, puisqu’ils sont sous trinquette (une petite voile utilisée pour le gros temps, pas du tout adaptée aux conditions). Nous apprenons à la VHF qu’ils ont un petit souci technique, ce qui explique leur choix de voilure, souci qu’ils résoudront d’ailleurs un peu plus tard, et c’est finalement, comme prévu, en regardant l’arrière de leur voilier que nous arrivons à Minorque, une petite heure après eux.
Nous avons choisi le port naturel de Mahon pour notre première nuit. Il y a des corps morts partout, et c’est au pilote automatique que nous faisons la manœuvre pour en attraper un, sans barre ni propulseur d’étrave. Pas évident, d’autant que la nuit est venue et que nous tombons à deux reprises sur des bouées sans flotteur (il y a en général sur le dessus des corps-morts un anneau pour les attraper à la gaffe, mais ce n’est pas le cas ici. Nous apprendrons plus tard que c’est pour éviter que certains plaisanciers novices ne s’y amarrent au lieu de s’attacher directement à la chaîne qui relie la bouée au bloc fixé au fond, avec le risque que la liaison entre la bouée et la chaîne se rompe et que le bateau parte à la dérive et s’échoue, mésaventure vécue par le parrain d’Elaya). Nous pourrions jeter l’ancre, mais sans guindeau j’y rechigne un peu. Heureusement, Stéphane met son annexe à l’eau pour nous donner un coup de main, sans quoi nous y aurions probablement passé la nuit !
Bref, nous voici de l’autre côté. Pour l’instant, les Baléares semblent à la hauteur de leur réputation : belles et sauvages; et la suite des évènements ne démentira pas cette première impression, au contraire !
C’est vraiment bien écrit, ET, en conséquence ?, très intéressant, même pour une marin d’eau douce. Avec en prime, les précautions envers le lecteur : « (attention, paragraphe technique, n’hésitez pas à le sauter) ». Assez rare pour être très apprécié !!! Donc on suit.
PS : pas particulièrement gaga des bébés, mais Elaya est craquante.
Sympa à lire ! Un tip pour les coffres bouees etc avec une etrave haute et une grande jupe… Prenez les en marche arriere depuis la jupe, avec une longue aussiere passee en double sans noeud, dans l’anneau de coffre ou chaine ou… Barreur et Equipier à proximite immediate. Important d’avoir une haussiere suffisament longue pour partir amarrer à l’etrave confortablement pendant que le barreur accompagne en douceur au moteur. Technique d autant plus efficace avec du vent fort et / ou en solo. Teste et je n’ai plus jamais pris un coffre en marche avant depuis ! Bonne nav !
Hello !
Merci du conseil ; en général, on a une technique encore plus radicale : on place une très longue aussière accrochée à un des taquets à l’avant et facile à attraper depuis l’exterieur, je met l’annexe à l’eau, récupère l’aussière, vais la passer dans la chaine du coffre et reviens la mettre au taquet debout dans l’annexe. Du coup, c’est fait dans le calme et sans aucun stress !
Sinon, on fait comme tu dis en profitant de notre jupe … mais dans l’idéal on préfère éviter les coffres dont la solidité est parfois aléatoire et dormir sur notre propre mouillage !
Bonne nav !
Hihihi Quelle classe ! J’aime beaucoup la précision de mon choix de trinquette lorsque mon enrouleur de génois était bloqué pour justifier la dépose de Huapae…. qui aura durée si peu de temps….. ah ah ah hihihi. Nous sommes heureux d’avoir cheminé à vos côtés pendant ces 2 mois en comptant l’escale technique de port saint louis. .. on espère vous retrouver le plus rapidement possible!
On vous embrasse
Huapae