Après les petites marinas sans prétention et un peu fantômatiques de Nazaré et Peniche, nous voilà revenus à la très sélect (et chère!) marina de Cascais, proche de Lisbonne. Ses avantages : une bouteille de vin rouge (pas si mauvais) offerte à l’arrivée, des sanitaires assez confortables, des voisins de pontons avec qui discuter, et un train pour se rendre à Lisbonne en moins d’une demi-heure. Pour l’anecdote, nous avions d’ailleurs récupéré 3 bouteilles de vin quand nous étions passés au printemps, la stratégie payante étant de payer la nuit, quitter la marina, et revenir un peu plus tard. Bon, nous n’avions pas opté volontairement pour cette stratégie, ces faux-départs étaient à notre grand dam liés à des problèmes techniques ou de météo (pour le détail de nos péripéties, lire ceci…).
La ville de Cascais ressemble à une petite ville proprette du sud de la France, type Grasse, avec des ruelles de petits pavés blancs, des jolies maisons, des commerces touristiques et un front de mer pas trop défiguré par des villas bourgeoises. Nous y avons fait quelques balades agréables, à la recherche d’un supermarché, et d’une boutique Vodafone, pour se procurer un élément essentiel : une carte 3G permettant d’avoir accès au St Graal : internet (Brann a besoin d’un minimum de contact régulier avec les news, et moi d’infos pour mes articles).
La météo n’a pas été clémente – c’est un euphémisme pour les pluies torrentielles et le vent furieux qui a essayé de libérer Lucy de ses solides amarres, sans succès – et nous avons passé plusieurs jours consignés dans nos quartiers, bien au chaud, à lire, travailler, cuisiner, manger des scones en buvant du chocolat chaud, bref vaquer à nos occupations intra-bateau.
Une accalmie d’une journée dans la tempête nous a quand même permis d’aller visiter Lisbonne. Enfin, le château de Lisbonne (Brann est fan de châteaux). De la gare d’arrivée du train au château, nous avons marché 3 heures, dans une ville au dénivelé sportif, avec quand même une pause déjeuner pour déguster un burger (Brann est aussi fan de burgers).
L’ascension finale vers le château (évidemment construit tout en haut de la ville) et surtout les milliers de marches à monter et descendre pour visiter chacune des tourelles et chemins de ronde (Brann est vraiment fan de châteaux), nous ont laissés pantelants, face à tant de beauté bien sûr, mais aussi d’épuisement.
Nous avions bien mérité une autre pause, pour manger des pasteis de nata cette fois-ci (je suis fan de pasteis de nata), dans un café appelé The world needs nata (un dicton bien normand, qui me rappelle mes origines maternelles).
Nous avons tenté d’emprunter la plus vieille ligne de tram, recommandée par un guide, mais nous ne l’avons jamais localisée, et avons poursuivi à pied le long du Tage. Notre conclusion de ces longues déambulations à travers la capitale est que Porto est quand même beaucoup plus charmant que Lisbonne (même s’il n’y a pas de château).
Nous avons fini par nous libérer du mauvais temps et faire route vers Sines, avec une très agréable partie à la voile, au soleil, le long d’une côte assez sauvage. Arrivés de nuit à Sines, nous décidons de faire un mouillage face à la plage et aux remparts, pour profiter de la belle vue. Mauvaise idée, même si la petite baie paraît lisse, les quelques ondulations qui la traversent font rouler Lucy et taper les drisses et les câbles dans le mât. Difficile de dormir, même avec des boules Quiès !
Remarque : la chasse à la « drisse fantôme » est un de nos sports favoris ; il se joue généralement de nuit, si possible sous la pluie, avec un morceau de fil de fer dans une main et une petite garcette – grosse ficelle – dans l’autre. Le but étant d’essayer d’attraper par un petit trou dans le mât un des câbles passant par là pour le bloquer en l’attachant avec la garcette. La victoire permet une nuit calme…
Le matin, n’y tenant plus, nous allons nous amarrer aux pontons de la marina toute proche qui nous tendent les bras, avec dans l’idée de faire une sieste réparatrice ; le projet étant de partir pour le Cap St Vincent plus tard dans l’après-midi, pour une longue nav de nuit, car il n’y a pas de port avant d’avoir passé la pointe sud du Portugal, et les mouillages sont peu abrités des vent du sud ou de l’est prévus le lendemain. Mais avec le manque de sommeil de la nuit, il nous paraît plus raisonnable de reporter au lendemain cette traversée, d’autant que la météo nous donne une fenêtre valable pour un départ jusqu’au lendemain soir. Nous partons en fait le lendemain après le déjeuner, car finalement le vent semble tourner et forcir plus tôt que prévu et nous préférons avoir de la marge pour passer le cap tranquillement. Première partie au moteur, au soleil, mer calme, puis le vent se lève, nous sommes heureux, les voiles sont hissées, nous dînons au soleil couchant, et nous répartissons les quarts de nuit.
Mais quelques heures plus tard le vent forcit de plus en plus, il nous faut réduire la toile, et la mer commence à faire le gros dos, m’obligeant finalement vers 4 heures du matin à succomber au chant du seau dédié aux offrandes aux poissons. Nous avons 30 noeuds de vent, rafales à 35 (alors que la météo nous donnait 8 rafales à 12, au maximum 10 rafales à 15 quelques heures plus tard), et surtout 3 mètres de houle, des conditions ne permettant pas à un bateau comme Lucy, qui ne remonte pas bien au vent, de passer. Je regarde la carte sur le GPS et envisage d’abattre pour filer avec le vent et la houle dans le dos (beaucoup plus confortable et rapide) se mettre à l’abri. Mais la côte la plus proche dans cette direction est le Maroc, ou Madère, à plusieurs jours, et l’idée fait long feu…
Au milieu de la nuit, j’aperçois une ombre derrière le génois, qui m’intrigue. L’ombre bouge rapidement, disparaît, réapparaît. J’allume le projecteur de pont qui éclaire l’avant du bateau et, là, stupéfaite, je vois un oiseau battant des ailes furieusement derrière la voile, qui semble faire la course avec nous, passant juste à quelques centimètres de notre étai, avant de revenir derrière le génois. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises car l’ombre se multiplie, et nous réalisons qu’il y a en fait plusieurs dizaines d’oiseaux autour de nous ! Peut-être nous prennent-ils pour un bateau de pêche – il y a peu de plaisanciers à cette époque de l’année, notre AIS nous indique un seul bateau à la ronde en compétition avec nous pour passer le Cap – ou est-ce pour profiter de notre protection contre le vent, comme dans un peloton de vélos au Tour de France. Le mystère reste entier, mais Hitchock aurait sûrement apprécié cette scène de nuit en noir et blanc, sous l’éclairage cru du projecteur de pont, accompagnée d’une bande son stridente.
Le passage du Cap St Vincent prend des heures car nous sommes obligés de tirer des bords entre la côte et le rail de cargos (des mauvais souvenirs de nuit dans ce rail de cargos qui longe la côte de la péninsule ibérique, remontant au printemps dernier, nous encouragent à le fuir comme la peste). Finalement le lever du jour nous trouve avec 2 ris dans la grand voile, prêts à prendre le troisième, ballottés par les vagues, peinant à remonter la côte après le cap, avec comme perspective encore une dizaine d’heures à ce rythme de bords de près face au vent et aux vagues pour atteindre un port dont l’entrée serait impraticable par cette mer mauvaise (hors de question de tenter une entrée dans un chenal étroit avec des déferlantes ou de faire un mouillage non abrité avec cette tempête). Une tentative de moteur après avoir affalé les voiles nous confirme l’inanité de cette approche.
Nous sommes épuisés, et la décision de faire demi-tour s’impose comme la voie/voix de la raison, même si elle nous coûte. Nous mettons à peine une heure à repasser ce fichu Cap St Vincent, que nous avions tant peinés à dépasser cette nuit, la lumière de son phare semblant nous narguer sans jamais se rapprocher. Nous longeons donc la côte ouest à la recherche d’un mouillage abrité (le vent venant de l’est-sud-est c’est impossible de se mettre dans un de ceux de la côte sud). Les vagues qui déferlent sur la côte refroidissent notre enthousiasme, et nous continuons à remonter vers le nord, sur nos pas de la veille. Nous finissons par localiser une petite baie entre deux falaises, recommandée par le guide, assez abritée du vent.
Nous mouillons face à la belle plage d’Arifana, à quelques dizaines de mètres de surfeurs s’amusant des rouleaux créés par la tempête de la veille. Éreintés, nous prenons une petite douche à bord pour profiter de l’eau réchauffée par le moteur, avant de nous glisser avec une joie indicible dans notre lit. Malheureusement la houle fait danser Lucy dans tous les sens, et le sommeil est très difficile. Le bruit des câbles/drisses sur le mât et d’autres objets mouvants – parfois non identifiés d’ailleurs : nous avons fait la chasse aux « bong » pendant plusieurs heures sans réussir à localiser leur origine, mais ce n’était pas l’ancre cette fois-ci, elle était au bout de nos 50 mètres de chaîne !) – empêche Brann de dormir, alors que je suis surtout indisposée par les mouvements. Je finirai même par me faire un lit sur un matelas dans la cuisine – partie la plus centrale et basse du bateau – la deuxième nuit (notre premier épisode de chambre à part !), pour limiter la sensation de machine à laver… La tempête n’en finit plus de malmener la côte, et notre rassurante Lucy, et nous devons prendre notre mal en patience, car même si c’est inconfortable, au moins nous sommes en sécurité. La seule alternative serait de retourner à Sines, mais elle nous déprime – il faudrait ensuite refaire une nav de 15-16 heures pour repasser le Cap St Vincent) et nous tenons bon. Brann s’emploie à trouver des stratagèmes pour rendre le mouillage plus confortable…