Grossesse à bord d’un voilier


Le secret ayant été dévoilé, je vais pouvoir parler des particularités d’une grossesse à bord.

Pour commencer je tiens à souligner que j’ai l’air de parler essentiellement d’inconvénients, et pourtant je considère que ma grossesse est un moment magique ! Mais comme il s’agit ici d’expliquer ce qui change dans la vie à bord pour une femme enceinte, ou ce qui change pour une femme enceinte dans le fait de vivre sur un bateau… il faut reconnaître que ce qui m’a marquée revient plutôt à des désagréments ! D’un autre côté, être enceinte en étant médecin urgentiste à Paris, à courir entre deux métros et deux patients, aurait probablement été plus fatigant, donc je n’ai aucun regret… 😉

Gastro ou gueule de bois ?

Tout d’abord, les nausées. Très fréquentes mais le plus souvent limitées au premier trimestre (ou beaucoup moins intenses ensuite), elles peuvent vraiment être difficiles à gérer. Ayant entendu parler de « nausées » matinales, je pensais naïvement : « on se réveille, on a un peu mal au coeur, et puis hop, une douche et c’est fini ! ». En fait, ça ne se passe pas vraiment comme ça… En tout cas pour moi. C’est plutôt comme la pire gueule de bois de sa vie mélangée à une bonne gastro (qui ont d’ailleurs été mon Excuse Officielle n°1 pour la gastro, et mon Excuse Officielle n°2 pour l’abus d’alcool la veille – quand on voit les gens deux fois de manière rapprochée, il est difficile de plaider la gastro de longue durée ou à répétition, il faut donc avoir au moins 2 Excuses Officielles).

Ce qui est surprenant c’est que les nausées sont parfois plus fortes au port ou dans un mouillage abrité qu’en navigation. Mais avec 4 mètres de creux ou une houle croisée… elles ne manquent jamais à l’appel ! Il faut dire que de base je suis assez sujette au mal de mer, donc je prends du Mercalm ou du Stugeron (pas disponible en France, mais en Belgique et en Suisse oui, il est efficace et un peu moins sédatif que le Mercalm) dès que je vois poindre une mer un peu agitée, j’en avale un sans attendre, et je tiens généralement le coup – surtout au bout de quelques jours de navigation, quand je suis amarinée. L’inconvénient (enfin un des inconvénients) de la grossesse, c’est que la plupart des médocs contre le mal des transports sont interdits. J’en étais donc réduite à prendre du Nausicalm, médicament qui a accompagné la majeure partie de mes déplacements enfant (voiture, bus, avion, bateau, un rien suffisait à me rendre malade), avec une efficacité très limitée, il faut l’avouer. J’ai d’ailleurs dû prendre le volant lors des rares trajets en voiture que nous avons effectués quand nous étions à la Trinité-sur-mer, je me sentais trop mal en tant que passagère. J’ai tenté de mettre ça sur le compte du mal de terre (Excuse Officielle n°3)…

Manger pour mieux vomir

Petits conseils pratiques, pas seulement destinés aux femmes enceintes. Parmi les facteurs favorisant le mal de mer, il y a la faim, et avec les nausées, on rentre dans un cercle vicieux : on ne mange pas assez, on a des nausées liées au jeûne (on appelle ça la cétose de jeûne) et le mal de mer vient couronner le tout pour aboutir à une vidange de l’estomac qui efface tout effort tendant à le remplir et à combattre ce cercle vicieux (d’un côté vomir le ventre vide, ça fait mal, de l’autre vomir un aliment qu’on aime, ça le rend inmangable pour un certain temps…). Boire du coca en petites quantités peut fournir une fenêtre d’accalmie, dont il faut profiter pour manger des sucres lents, parce que les sucres rapides contenus dans la boisson-médicament (comme on l’appelle devant les enfants pour les convaincre qu’il ne faut pas en abuser) provoquent un pic d’insuline qui fait baisser brutalement le taux de sucre derrière, et c’est reparti pour le cercle vicieux des nausées !

La grossesse, ça calme

Dans le « package » du premier trimestre, en plus des nausées, il y a la fatigue – le gros abattement d’une fin de grippe – qui tombe dessus sans prévenir. Pour une personne à tendances hyperactives comme moi, c’est difficile à gérer. Réponse de la gynéco que j’ai consultée à Vannes pour l’échographie de confirmation : « ah bah oui, une grossesse ça calme, surtout au premier trimestre ! ».

Le pire c’est que lorsque les nausées et la fatigue disparaissent (brèves accalmies de quelques heures), l’inquiétude arrive : et si je faisais une fausse-couche ? Leur retour est donc salué par des sentiments mitigés. D’abord le soulagement : « ouf, tout va bien ! ». Puis la lassitude : « oh non, encore ! ».

Mieux vaut un pilote qui fonctionne qu’une équipière au premier trimestre

En tant qu’équipière ou chef de bord, j’étais assez inutile, particulièrement la nuit. Probablement en raison de plusieurs facteurs : la fatigue, et l’absence de repères visuels, qui accentuent le mal de mer. Durant cette période, Brann faisait donc la majorité des quarts, et quand il n’en pouvait plus il me demandait de le relever, ce que je faisais avec la tête dans le seau, et rarement plus d’une heure et demie, deux heures maximum d’affilée. Mais quand nos deux pilotes sont successivement tombés en rade dans le Golfe de Gascogne, il a bien fallu se relayer à la barre. Et quand on a dû prendre un ris au milieu d’un coup de vent, j’ai failli repeindre le piano (l’endroit où toutes les « cordes » reviennent à l’arrière pour ceux qui se demanderaient ce que je foutais à jouer du piano en pleine mer…) et le winch (truc en métal sur lequel on enroule les « cordes » sur lesquelles on veut tirer) du cockpit (l’endroit où on prend l’apéro dehors).

Petit interlude technico-administratif

Quelques trucs pratiques à savoir si on est enceinte en voyage. D’abord la carte européenne de sécurité sociale si on voyage en Europe. Demande à faire en ligne sur le site Ameli.fr, et compter 3-4 semaines pour la recevoir. Elle sert dans le cadre de consultations ou hospitalisations dans le publique. Elle permet d’éviter une avance de frais grâce à des accords inter-pays européens. Il existe aussi des assurances privées internationales, qui sont intéressantes dans le cas de voyages de plus de 3 mois, qui ne sont pas couverts par les assurances rapatriements des cartes bleues (renseignez-vous avant de partir, c’est toujours plus simple d’avoir les infos et numéros d’urgence à contacter que de se poser ces questions quand on a déjà une situation inquiétante à gérer).

Pour ce qui est spécifique de la grossesse, la Sécu veut une échographie de datation à 12 semaines d’aménorrhée (10 semaines de grossesse) avec une déclaration de grossesse faite par la gynéco qui a fait cette écho pour lancer la procédure de prise en charge qui permettra d’obtenir un 100% à partir du début du 6ème mois, concernant tout ce qui touche à la grossesse (important si on compte accoucher en France).

Deuxième trimestre, changement de garde-robe

Le deuxième trimestre était beaucoup plus facile à gérer à bord. Cependant, comme je commençais à avoir le bas du ventre bien arrondi, j’avais du mal à supporter les cahots trop importants, comme en annexe au planning avec des vaguelettes (le planning c’est quand on va assez vite – avec le moteur – pour décoller l’arrière du bateau gonflable à fond plat dont on se sert pour aller à terre quand le bateau est mouillage). Ou par une houle courte de face comme on a subie sur certains bords de près. Voire même par une vicieuse houle de travers au mouillage. Ca tirait dans le bas du ventre (prélude aux contractions qui suivront).

Petit conseil : évitez de faire le coup de la panne (en annexe) à une femme enceinte. Ou juste pour la blague. Mais la faire ramer pendant presque une heure parce que malgré de savants calculs de consommation, de capacité du réservoir, de distance parcourue… on a finalement mal estimé la quantité d’essence nécessaire pour retourner au bateau, c’est pas l’idéal. Bien sûr, c’est une expérience amusante, particulièrement quand on a chanté à l’aller : « on avance, on avance, on avance, c’est une évidence on n’a pas assez d’essence, pour faire la route dans l’autre sens, alors on avance… ». D’autant plus que tout s’est très bien terminé, avec la joie procurée par la générosité d’inconnus. Mais pas avec une femme enceinte, s’il vous plaît.

L’inconvénient suivant de ce deuxième tiers de la grossesse était que je ne supportais plus les ceintures élastiquées serrées de mes pantalons de type jogging/legging. J’ai pris des mesures radicales et découpé lesdits élastiques cousus comme je pouvais en faisant des trous dans la ceinture. Rendu pas très joli, mais ça m’a permis de continuer à les porter encore 2 mois. Mais quand vraiment mon ventre a fait un bond en avant, je me suis résolue à acheter un pantalon de grossesse avec la poche ventrale, que je ne remplissais pas du tout au début, ce qui donnait un aspect assez ridicule – mais que je remplis complètement maintenant, même si ça me paraissait incroyable à l’époque. L’étape suivante était que je rentrais plus dans ma salopette de quart, ni dans ma combinaison de plongée – bonne excuse pour éviter les baignades dans une eau à 15°C pour caréner ou vérifier un problème sous la coque, comme Brann l’a fait à Cartagena, quelques jours après la chute de neige (cf vidéo ci-dessous) – et que je fermais plus ma veste de quart. Heureusement le printemps est arrivé très tôt en Andalousie, et j’ai acheté un plaid très moche mais très chaud qui m’a permis de tenir les quarts de nuit, emmitouflée dedans, par-dessus ma veste de quart.

La femme enceinte se la coule douce à bord

A partir du milieu du deuxième trimestre, les moindres acrobaties deviennent inconfortables et/ou dangereuses. Monter au mât pour affaler la GV ou prendre/rendre un ris (sur les trois petits échelons de marches de mât installés spécialement pour les personnes de taille réduite comme moi) : difficile avec le ventre qui empêche de se plaquer contre le mât et risque de chute. Installer ou retirer les pare-battages pliée en deux : pas génial pour les nausées ni les contractions. Ne parlons même pas d’aller installer la voile d’avant ou de se faufiler dans la soute à voiles pour envoyer le spi (on l’envoie directement de la soute à voile, il est trop encombrant à sortir car l’ouverture du panneau de pont est un peu trop petite pour le sac). Sauter sur le ponton pour amarrer le bateau ou tirer sur les pendilles : risqué pour le premier, inconfortable pour le deuxième (sans compter que ma force dans les bras étant largement inférieure à celle de Brann, de toutes façons c’est le genre de tâches qu’on ne partage pas équitablement…). Bilan : je suis cantonnée dans le cockpit, je fais presque toutes les manœuvres de port, et je gère les voiles au piano.

Aménagements spéciaux

Marche-pied pour grimper dans le lit, installé sur un tiroir à partir d’une simple planche

Face à la progression de mon nombril vers l’avant, et à l’encombrement généré, nous avons dû faire quelques aménagements sur le bateau. Brann m’a d’abord installé une poignée sur la cloison à côté du lit, pour que je puisse me relever la nuit pour les impératifs liés au conflit vessie-utérus. Plus tard il m’a installé un petit marche-pied pour que je puisse grimper dans le lit, en fixant astucieusement une planche sur le tiroir du bas sous notre lit. Et puis il ne faut pas oublier le fameux boscenseur, pour faire monter et descendre du bateau une femme enceinte quand on est cul à quai et que ledit quai est beaucoup plus haut que la jupe. La vidéo explicative en fin d’article vous convaincra, s’il est besoin, de l’utilité de cette invention révolutionnaire.

Auto-surveillance 

L’inconvénient majeur de cette fin de deuxième trimestre, ce sont les contractions. J’ai monitoré ma grossesse du mieux que je pouvais jusque là (il faut dire que j’ai eu pour mon anniversaire juste avant notre départ un « hôpital de bord » comprenant même un électrocardiogramme !) : appareil pour mesurer le taux de sucre dans le sang, bandelettes urinaires pour vérifier l’absence de protéines et de signes d’infection urinaire, brassard pour surveiller la tension, pince de saturation en oxygène/fréquence cardiaque, et enfin un Doppler pour vérifier le rythme cardiaque fœtal que j’ai acheté quand j’ai découvert que j’étais enceinte. J’ai fait les échographies recommandées (j’en ai même fait une supplémentaire à Malaga pour vérifier que tout allait bien car je ne sentais pas le bébé bouger, et que j’étais un peu inquiète pour mon col de l’utérus, qui peut nécessiter un cerclage s’il est trop ouvert pour éviter un accouchement prématuré). J’ai également fait les prises de sang pour la surveillance de la toxoplasmose, même si les biologistes en Espagne et au Portugal se moquaient gentiment des français avec leur suivi de la toxo, car eux ne font pas de surveillance systématique mensuelle. Mais malgré tout je n’ai pas eu de suivi par un médecin ou une sage-femme, et je me suis fait un peu remonter les bretelles quand j’ai fait la deuxième écho :

« – Où est votre ordonnance pour l’échographie ?

– Je n’en ai pas.

– Comment ça… mais qui est le médecin ou la sage-femme qui vous suit ?

– Euh… en fait j’ai fait mes échos dans des endroits différents parce que je voyage, et je n’ai pas vraiment de suivi… (plus bas, un peu honteusement) En fait je suis médecin… J’ai sur le bateau de quoi surveiller… (énumération).

– Ah. (plus ou moins agréable). »

Mais les contractions, c’est un peu inquiétant quand on en a beaucoup au 6ème mois. Le problème étant qu’elles peuvent faire s’ouvrir le col et provoquer un accouchement prématuré. Alors que la Coquillette n’est pas « cuite à point », ni même encore « al dente » comme dit Clara. Donc nous avons écourté notre périple et coupé directement de Roses à Marseille, pour attendre bien sagement la fin de la cuisson au calme, sans houle qui tape, sans trop marcher, et sans porter de chose lourde. L’occasion également de multiplier les consultations à la maternité : « Mais vous n’avez pas fait tel et tel examen… Bon, je vous fais une ordonnance pour ci et ça. Et puis il faudrait que vous preniez RDV pour une consultation avec tel et tel médecin. Et puis… »

Une petite vérification du coeur du bébé, ça rassure quand on ne sent pas encore les mouvements !

Vive la Sécu !

Je ne me plains pas, on a la chance en France d’avoir un bon suivi médical, notamment pour la grossesse, et du coup un taux de complications et de mortalité maternelle et néonatale très bas. Je me souviens d’une prise de conscience à Madagascar pendant des vacances. Nous sympathisons avec des malgaches dans un petit village de pêcheurs, et je demande naïvement à une des femmes, enceinte de 7-8 mois : « alors, c’est un garçon ou une fille ? » Question banale, que tout le monde pose (je m’en rends compte maintenant que c’est mon tour), mais sa réponse m’a fait me sentir vraiment bête : « eh bien, je ne sais pas encore ! On verra à la naissance… » Elle n’avait pas eu d’échographie de toute sa grossesse, et pour cause, le nombre d’appareils disponibles est limité, et le prix d’une écho prohibitif pour une population qui doit s’endetter sur 15-20 ans pour une opération de l’appendicite (et je parle là du cas d’un chauffeur de taxi, ayant donc un niveau de revenus plutôt confortable pour le pays). Bref, je me réjouis que des professionnels aient pris le relais pour la surveillance de ma grossesse, même si c’est un peu contraignant !


A propos de S

S. est médecin urgentiste et journaliste scientifique, passionnée de lecture, de voyages, de musique, de thé et de chats. Et maintenant de bateaux !

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