Fini les ports, Elaya a maintenant plus d’un mois, et il est temps pour elle de vivre sa première traversée. Après un trimestre passé à Marseille, le moment est venu de reprendre le large, à trois désormais. Je profite de la présence d’un ponton (le dernier avant longtemps) pour dérouler nos 100m de chaîne et les marquer à intervalle régulier. J’avais acheté un compteur de vélo à 10€ pour remplacer les compteurs marinisés cinquante fois plus chers, mais l’installation s’avère un petit peu plus compliquée que prévu, et il est de toute façon toujours bon de revenir à des techniques non électroniques. L’opération s’est déroulée sans accroc, je suis en train de refixer mon ancre et….. plouf. Bien sûr, je suis à l’endroit le plus profond du vieux port – 6m50 – et l’eau n’est pas vraiment transparente. Quand tout bascule en un instant, on ne peut pas s’empêcher de se repasser 1000 fois la scène ; je n’ose imaginer ce que vivent les rescapés d’accidents graves. Ici, rien de sérieux, mon premier réflexe est surtout de regarder autour de moi pour vérifier que personne ne m’a vu ! N’étant pas un pro de l’apnée, je m’y reprends à dix fois pour aller toucher terre à pic de mon étrave, mais l’ancre n’y est pas ! C’est Fabien, notre voisin de ponton, qui réussit à la choper du premier coup. Un peu frustrant après mes quinze tentatives infructueuses, mais on est surtout soulagés d’avoir retrouvé notre toute nouvelle Spade, qui avait juste décidé de surfer un peu et de se planter 3m plus loin. Pour ceux qui se demandent comment je suis passé de dix à quinze, bienvenue à Marseille !
Depuis qu’Elaya est née, les visites se sont succédé. Il y a eu les parents d’un côté, les parents de l’autre, le parrain, les amis marseillais. C’est Mathilde, la marraine, qui vient clore le ban. Elle amène avec elle sa petite dernière de 18 mois et de précieux conseils (elle est pédiatre et maman de quatre enfants). Nous avons donc pu voir en avant-première tout ce qu’il fallait qu’on bricole à bord d’ici à l’an prochain. On pensait être fin prêts, avoir un bateau baby-proof, nous étions très loin du compte. Et si je balançais le contenu du vide poche en bas de la descente ? Oh, une clé marquée « start », et si je la tournais ? Oh, une marche, et si je la ratais ? Bref, Alix a mis pas mal d’ambiance à bord. Elle a aussi bien profité de notre combo baignoire pliante – douche solaire. Pendant ce temps, Pierre m’apprend à pêcher, et ça mord. C’est la première fois que je jette une ligne à l’eau, et je prends trois poissons en moins de dix minutes. Poissons de roche vite relâchés, et qui malheureusement ne m’inciteront pas à la patience par la suite. Désormais, je cesse mes efforts et décrète qu’il n’y a pas de poisson au bout de dix minutes sans touche, pas exactement la méthode optimale paraît-il !
Un dernier passage à Marseille pour déposer nos amis, emmener Elaya chez le pédiatre pour une visite de routine, faire quelques courses, et nous laissons définitivement derrière nous le Vieux Port, flanqué du Fort St Jean et du Mucem. Nous retournons mouiller au Frioul, accompagnés de Kawâne, le voilier de Fabien et Aude, nos fameux pêcheurs d’ancres. Moniteur de plongée (pour lui), médecin urgentiste (pour elle) à Mayotte l’hiver, vagabonds des mers l’été, forcément, nous avons pas mal de choses à nous raconter ! Fabien aussi doit marquer sa chaîne, mais sa technique est moins fatigante que la mienne ; il déroule tout dans l’eau, plonge avec une ficelle de 10m, et va tranquillement placer ses marqueurs à intervalles réguliers. Il remonte tout de même une fois toutes les cinq minutes pour prendre un peu d’air… crâneur !
Nous décidons de faire avec eux la route jusqu’à Hyères, où nous avons prévu de retrouver Xav et Nat pour traverser vers la Corse. Au passage, nous nous arrêtons dans la magnifique calanque de Morgiou, immense, déserte, et chaude … l’eau est à 29°, limite à partir de laquelle Sarah accepte de se baigner sans combinaison de plongée ! Si on en croit les guides, la Méditerranée restera à plus de 25° jusqu’en Octobre, sauf fort coup de mistral qui la refera passer sous la barre des 20°, mais jamais plus de quelques jours.
A Hyères, nous passerons le plus clair de notre temps sur l’île de Porquerolles, magnifique et sauvage. Le mouillage de la plage Notre Dame est bondé mais immense, et nous y retrouvons Gorgona, le gros cata de plongée d’Olivier et Chloé, rencontrés cet hiver à Carthagène. Ils sont complètement overbookés mais trouveront quand même le temps de m’emmener sur le massif du Gendarme. Arrivés à la bouée qui marque le site de la plongée, il y a un courant pas possible. Même avec des palmes, je ne sais pas si j’arriverai à l’étaler ! Heureusement, sitôt sous l’eau, l’agitation disparaît et laisse place à un immense massif sous-marin, presque irréel.
Olivier et Chloé nous prêteront aussi leur voiture et s’excuseront presque de nous déranger quand ils en auront besoin. Vous allez dire que je radote, mais on se rend vraiment plus facilement service sur les flots qu’ailleurs !
Nous avons récupéré Xav et Nat, fait des courses pour dix jours, et nous retrouvons l’équipage de Kawâne pour un petit apéro, Plage Notre Dame à nouveau. On en profite pour se synchroniser pour la traversée, même s’ils visent plutôt Calvi, et nous plutôt Ajaccio. La fenêtre météo n’est vraiment pas formidable puisqu’il n’y a pas de vent, mais nous préférons éviter la houle tant qu’Elaya ne tient pas encore sa tête. Vers minuit, nos invités veulent rentrer sur leur Brise de mer pour être en forme pour le départ, mais c’est mal engagé. Il y a une épaisse brume, le vent a mélangé les bateaux (quand le vent tourne, chaque voilier décrit un cercle autour de son ancre, mais comme personne ne mouille la même longueur de chaîne, c’est vite le bordel), et rien ne ressemble plus à un feu de mouillage qu’un autre feu de mouillage. Bref, le décor est féerique, mais c’est finalement 2h et 1l de rhum plus tard qu’ils peuvent enfin regagner leurs pénates. De notre côté, nous réfléchissons à l’installation d’une guirlande de Noël dans le cockpit pour repérer Lucy plus facilement.
Nous craignions de faire pas mal de moteur, et nous avons été servis, puisque plus des trois quarts du trajet auront été bercés par le familier ronron de notre fidèle Yanmar. Les dieux de la météo ne sont pas avec nous, mais ceux de l’océan, si. A quelques encablures, Xav repère une immense nappe sombre dans l’eau ; soudain, un aileron émerge, suivi d’une immense queue qui vient battre les flots. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’un rorqual commun, notre première baleine !
Lucy a aussi croisé quelques dauphins et des thons en pleine chasse ; ils sautent hors de l’eau et se laissent retomber avec fracas, terrorisant la faune du coin. Une fois que tout le monde est bien affolé, ils repassent dans le tas la bouche ouverte en attrapant tout ce qui nage (y compris les hameçons de ceux qui ignorent que la chasse au thon rouge est interdite).
Au chapitre des expériences inédites, dans un moment de pétole particulièrement marqué et sous voiles, j’ai aussi fait un saut dans l’eau. Drôle de sensation de se baigner avec 300m d’eau sous les pieds, et surtout de voir s’éloigner un voilier pas si immobile que ça (1 noeud au GPS) : il faudra que Sarah passe la marche arrière pour me permettre d’enfin rattraper Lucy ! Ca nous a fait penser à ce mauvais film où tout le monde saute à l’eau en plein océan pour une baignade en oubliant de descendre l’échelle de bain… glups.
Nos premières impressions de la Corse : des plages sauvages, de charmants grillons, une eau chaude et turquoise, et des voiliers de milliardaires qui font trois fois Lucy (le prix des voiliers varie plus ou moins avec le cube de leur longueur, selon une célèbre conjecture que je viens d’inventer).
Nos deuxièmes impressions ? C’est la fête à neuneu sur la plage, et nous sommes envahis par les grillons. Nous apprendrons plus tard que nous avons atterri (c’est aussi comme ça qu’on dit pour un voilier) juste en face du club Med Corse … Quant aux grillons, leur charmant crissement caractéristique devient vite insupportable quand il ne provient plus d’une lointaine pinède mais de quelques mètres au dessus de nos têtes, et nous flippons un peu en en découvrant un peu partout, notamment dans les fonds de Lucy …. Et si ces satanés insectes élisaient définitivement domicile ici ? Il nous faudra finalement plusieurs jours de chasse pour tous les balancer par-dessus bord ! Malheureusement, les guêpes les auront vite remplacés ; notre nouvelle phobie ? Que les vilaines bestioles fassent leur nid dans notre mât. Il paraît que c’est déjà arrivé, avec à la clé des insectes surexcités au moment de hisser les voiles …. Pour s’en prémunir, il y a le faux nid de guêpe en plastique, qui joue sur la territorialité des guêpes pour les repousser, ou l’option bunker. Bref, Lucy a maintenant des moustiquaires à tous ses hublots ! Ce qui tient a l’avantage de tenir éloignés également les mouches et les moustiques (autres fléaux ailés de l’été).
Sur la route qui nous mène au Sud, la côte est magnifique, et toutes nos étapes se font dans des endroits paradisiaques, à l’exception du golfe de Ventilègne malheureusement récemment ravagé par un incendie (causé par une destruction « contrôlée » de munitions sur un terrain militaire!). Xav profite de ne pas encore être dans la réserve naturelle de Bonifacio pour s’adonner à la chasse sous-marine, Nat et moi pour entraîner notre apnée ; j’atteindrai finalement les 12m en fin de semaine, encore très loin des records du genre. Pendant ce temps, Sarah reste avec Elaya, un peu trop jeune pour ce genre d’aventures. Nous arriverons quand même à faire tous les cinq un tour dans la vieille ville de Bonifacio. La dernière fois que nous avons foulé ces pavés, c’était il y a trois ans, pour notre stage de niveau 2 aux Glénans ; nous croiserons même Tavana, sur laquelle nous avions passé une semaine !
Au port, les super yachts se suivent et se ressemblent. A bord, des ados en chemise rose dégustent des cocktails pendant que le petit personnel s’affaire ; ce n’est pas une dystopie, c’est bien notre monde. Nous avons aussi le sentiment d’être des privilégiés, bien sûr, mais là, ils exagèrent un peu. Nous croisons aussi un immense trois mâts, le Ponant, tristement rendu célèbre par une attaque de pirates Somaliens en 2008.
Lucy ne paye pas de mine, mais ses 43 pieds nous suffisent. Sa peinture n’est plus blanche depuis longtemps (et porte toujours les marques des perches de balisage de l’écluse de Vannes), mais ce look baroudeur nous convient. A l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes mouillés dans la très belle anse de Roccapina, flanquée de son célèbre lion de pierre dont nous n’avions bien sur jamais entendu parler. Lucy est entourée de bateaux de voyage, bardés de panneaux solaires et de serviettes qui sèchent sur les filières. Il y a bien quelques gros catamarans de charter, mais les passagers font eux-mêmes leur barbecue. Bref, nous avons retrouvé le monde réel ; ouf !
Blog très sympa et vivant ! Bises à Sarah.
Merci Nelly !! Des bises à toi et à ton petit (grand) capitaine ! 🙂
À relever qu’une échelle de bain, ou n’importe quel système permettant de remonter à bord, doit être en permanence accessible. Ça fait partie de la certification Européenne 🙂 Et je connais le dossier ! Mais pourquoi dis-tu que Dérive mortelle est un mauvais film. C’est un peu comme Walking Dead, le contexte n’est qu’un prétexte à faire évoluer un groupe de personnes dans une situation de crises. L’exercice est difficile, mais je le trouve excellent. Bonne suite.
Héhé, comme tu le sais, Lucy est au top de ce côté là …J’avoue que je n’ai pas vu « Dérive Mortelle », mais la bande-annonce ne m’a pas inspiré confiance, peut-être à tort ! Quand a Walking Dead, c’est la prochaine série sur la liste maintenant qu’on a fini Black Sails …mais depuis l’arrivée d’Elaya notre rythme a bien baissé !!