Il est temps de divulguer le secret de notre équipage : depuis bientôt 6 mois, nous ne sommes plus deux, mais deux et quelques (actuellement 2 et 6/9èmes pour être précis, soit 8/3 – désolée pour ces précisions, le futur papa étant très à cheval sur les mathématiques). Une petite moussaillonne (une future « marinière » comme l’a appelée une amie brésilienne) grandit en effet dans mon ventre, lequel s’arrondit de jour en jour.
Retour en arrière. La Coquillette (comme nous l’appelons) a été conçue en Bretagne, plus exactement à Hoedic, une petite île encore très sauvage pas loin de Belle-île en mer (Brann a la chanson en tête dès qu’il entend ou voit ce nom… alors je ne m’en prive pas !). Elle a donc déjà parcouru 1 778 milles nautiques, soit 3 293 kilomètres, sur l’eau.
Les premiers mois ont été un peu difficiles pour moi : nausées, fatigue,… maux bien connus du premier trimestre, majorés par les navigations, particulièrement les traversées « musclées » comme le Golfe de Gascogne ou le passage du Cap St Vincent. Il faut dire que de base je suis facilement sujette au mal des transports – j’ai d’ailleurs eu des moments compliqués, quand je faisais du SAMU – mais heureusement ça n’empêche pas de vivre sur un bateau ! Et comme les médicaments relativement efficaces comme le Mercalm/Nausicalm ou le Stugeron sont contre-indiqués aux femmes enceintes, ça n’arrange pas les choses. La Nautamine, recommandée dans cette situation, fonctionne beaucoup moins bien (sur moi en tout cas). Quant aux bracelets d’acupression, ils améliorent peut-être légèrement les choses, mais il faut les repositionner régulièrement et deviennent insupportables au bout de quelques heures. Il ont terminé au placard.
Les questions relatives aux nausées en mer n’ont pas manqué dans notre entourage, certaines assez amusantes comme : « mais du coup comment tu sais si c’est le mal de mer ou la grossesse ? »… Facile : malade en navigation je disais que c’était le mal de mer, malade au port ou dans un mouillage calme j’incriminais la grossesse, et malade à terre… c’était sûrement un mal de terre ! La réflexion la plus drôle fut sans conteste : « mais le mal de mer, ça doit annuler les nausées de la grossesse, non ?! ».
Mes seules activités à bord pendant ces navigations mouvementées étaient alors de servir de ballast (OK, mes 50 et quelques kilos ne font pas vraiment le poids face à un bateau de 15 tonnes, mais il ne faut pas non plus tout m’enlever), de nourrir régulièrement les poissons, et de prendre de courts quarts, la tête dans le seau. Les nuits étaient les plus dures, entre la fatigue et l’absence de repères visuels, le Mal de Mer régnait en Maître. J’ai eu un seul moment de grâce quand je suis allée mettre la trinquette à poste dans un coup de vent au milieu de Gascogne, ce qui m’a pris en plus pas mal de temps car il a fallu installer le bas étai largable qui était rangé derrière les haubans (cf glossaire pour ceux qui sont perdus mais que ça intéresse). Cette action d’éclat, je l’ai payée les 12 heures suivantes… A l’arrivée à la Corogne, je suis descendue du bateau à quatre pattes, toute honte bue (et rendue), comme les papis anglais dont je m’étais gentiment moquée quelques mois plus tôt au même endroit, qui ne tenaient plus debout après 4 jours de baston en traversant Gascogne. Les mouillages très rouleurs ont également été un calvaire, mention spéciale aux 3 jours bloqués à Arrifana. J’ai passé 72 heures allongée sur la couchette de mer du carré, ou sur le sol de la cuisine au centre du bateau, à essayer de lire (mauvaise idée) ou à écouter des podcasts de France Culture, en priant Neptune, Poséidon et Météomarine de nous laisser repartir vers des eaux plus calmes.
Le premier trimestre, c’est aussi la période du secret, en attendant confirmation que tout va bien, et il faut ruser pour les apéros vin rouge-charcuterie avec les voisins de ponton. Le problème, c’est qu’on peut plaider la gastro une fois, mais qu’il faut trouver une autre excuse pour la session suivante… L’abus d’alcool la veille étant généralement l’excuse numéro 2. Il est plus compliqué de justifier un mal de mer (mère) permanent et une léthargie assez inhabituelle pour mon caractère d’hyperactive. La maman de Brann, venue passer 3 jours sur le bateau, pendant lesquels j’étais principalement allongée sur ma fameuse couchette de mer, ou dans notre lit (prétextant là-encore une gastro) s’est même inquiétée de ma « santé fragile ». La révélation de la grossesse quelques semaines plus tard l’a rassurée…
Dans ces conditions, nous avons revu notre programme, qui devait être : côte portugaise puis Madère et Canaries, où nous pensions passer l’hiver au chaud, avant de remonter courant mars en Bretagne pour être à Vannes, ville élue à l’unanimité par Brann et moi pour notre accouchement (l’accouchement c’est un truc à deux, sans les mains du papa à broyer, c’est beaucoup plus dur). La suite de cet ambitieux programme était d’aller en Europe du Nord (Irlande, Ecosse, Norvège…) avec le bébé pour y passer les mois d’été. Autant dire que ce parcours, déjà très corsé pour deux navigateurs débutants (longues traversées, dans des zones très ventées, et à une période de l’année pléthorique en dépressions, avec des vents dominants peu favorables), était carrément risible avec une femme en fin de grossesse, puis un nouveau-né à bord.
Le froid hivernal et notre envie d’eaux « baignables » (sans combinaison de plongée je refuse de me baigner si l’eau n’est pas au moins à 24-25°C…) ont catalysé la modification de nos plans. La contrainte principale était d’accoucher en France, pour des raisons pratiques (les grands-mères, les amis et l’administratif en premier lieu), il nous restait donc la côte méditerranéenne. En se penchant sur la carte, cette idée nous a séduits : profiter des calanques, de la Corse – lieu idyllique pour des mouillages -de la Sardaigne… Sans trop d’hésitations nous avons alors opté pour une maternité à Marseille. La ville cochait toutes les cases : port(s) de plaisance, présence d’amis, et plateau technique médical complet pour parer à d’éventuelles complications maternelles et néonatales (déformation professionnelle oblige). Notre seule déception (mineure), étant que la Coquillette ne serait pas bretonne, ce qui est quand même un peu dommage pour un bébé destiné à grandir sur un bateau… Mais Brann en bon supporter de l’OM s’est consolé en imaginant le body aux couleurs du club que son frère ne manquerait pas d’offrir à sa nièce (non Kern, s’il te plaît, c’est une blague !).
Après les très légers désagréments du premier trimestre (je ne veux pas non plus que la Coquillette, si elle lit un jour cet article culpabilise trop, j’emploie donc un euphémisme), le deuxième trimestre est beaucoup plus agréable, une vraie partie de plaisir pourrais-je dire en comparaison du début. A peine une certaine gêne aux entournures, qui du coup limite ma participation aux contorsions pour installer les pare-battages et les amarres à poste (ou les ranger). Autres avantages en nature, je suis déchargée des activités à risque de chute (escalader le bas du mât pour affaler la GV, prendre/rendre des ris, ou aller à l’avant mettre la trinquette avec de la houle) et je serai bientôt la seule responsable des manœuvres de port, parce que descendre avec agilité et légèreté sur le quai sera devenu impossible avec un appendice ventral très proéminent (j’imagine déjà les commentaires des plaisanciers des bateaux voisins, passant de « une si petite femme qui pilote un si gros bateau » – comme nous l’avons entendu à plusieurs reprises – à « une si petite femme avec un si gros ventre qui pilote un si gros bateau… »).
Le statut de parents et la gestion des enfants à bord d’un bateau est devenu un de nos sujets favoris, de lecture, mais aussi de conversations : entre nous, avec notre entourage, et les parents que nous rencontrons. C’est donc une période très propice à des échanges avec d’autres, déjà passés par le trou du terrier (si cette référence n’est pas claire pour certains, je précise qu’il s’agit d’Alice au pays des merveilles, livre aussi halluciné que l’est la chanson Lucy in the sky with diamonds, référence sur notre bateau).
Elever ses enfants sur un bateau a des avantages et des inconvénients. Dans la partie avantages : passer beaucoup de temps avec eux, avec en corollaire un avantage pragmatique, l’absence de problèmes d’organisation liés à la gestion de la crèche, la nounou, l’école, le centre aéré… La chance de les voir grandir, modeler leur apprentissage – nous sommes enchantés à l’idée de faire nous-mêmes les cours (la question de l’instruction en famille et des écoles aletrnatives est un sujet très intéressant, non spécifique au bateau, que nous détaillerons dans un autre article). Les matières sont d’ailleurs déjà réparties : maths, physique, économie, anglais, informatique, électronique, moteurs et plomberie pour Brann; littérature, biologie végétale, animale et humaine, écologie, médecine, espagnol, yoga/méditation/natation, arts plastiques, cuisine et voilerie pour moi. Pour la musique, la pêche, et la philosophie, nous sommes encore en discussion, mais il nous reste quelques mois pour nous décider. Et bien sûr dans la liste des avantages, il faut noter la richesse liée aux voyages pour un enfant.
L’énumération des inconvénients est assez rapide. Un des sujets revenant fréquemment dans les discussions avec les « terriens » et quelques marins, et autre face de la pièce, est le fait de justement passer tout son temps avec ses enfants. Petite parenthèse : être quasiment en permanence ensemble pour un couple est aussi un des avantages de vivre sur un bateau qui peut devenir un poids pour certains – pour nous c’est une chance, espérons que nous penserons pareil dans 15 ans ! Pour ce qui est des enfants, difficile de se prononcer dessus pour l’instant, mais nous avons prévu un système de quarts, comme pour le bateau, histoire de pouvoir continuer à lire et poursuivre nos passe-temps personnels. En cas de besoin plus prolongé, nous comptons sur les grand-mères…
Autre problématique, qui précoccupe notamment ma maman, la sociabilisation. Les enfants ont apparemment besoin de jouer avec des personnes de leur âge pour s’épanouir. Solution numéro 1 : avoir plusieurs enfants. Solution numéro 2 : passer du temps avec d’autres voyageurs ayant des enfants ; un plaisir pour les enfants, mais aussi pour les parents. Ces rencontres ne sont finalement pas si rares sur les routes de navigation « classiques » (dans les canaux de Patagonie en revanche, ça doit être plus rare de croiser des familles avec bambins en couche-culottes…). Solution numéro 3 : faire des arrêts prolongés dans certains endroits pour permettre aux enfants de se lier avec des enfants du coin, en les inscrivant à des activités sportives, ou musicales par exemple, comme Liz que ses parents ont inscrite à des cours de flamenco à Cadix. Cette éventualité nous convient tout à fait, car elle donne une autre dimension au voyage : vivre dans un pays étranger pendant plusieurs mois, c’est s’imprégner de sa culture et faire des rencontres humaines plus profondes qu’en étant un simple touriste. Et des interludes de sédentarité renforceront probablement le plaisir de la vie vagabonde que nous avons choisie.
Nous sommes donc à la fois très heureux et très lucides – du moins nous croyons l’être (lucides bien sûr) – sur toutes les implications de ce choix de devenir parents. Et en tant qu’êtres éminemment rationnels (enfin surtout Brann, la part émotionnelle du couple m’ayant été largement attribuée), nous nous attelons à nous préparer autant que possible à cette future nouvelle vie.
To be continued…
je viens de découvrir votre blog 🙂
je fais partie du club lyonnais Grand Largue .Notre club va bientôt fêter ses 40ans.
Il a été créé par des moniteurs des Glenans malheureux à lyon sans la mer !
Voici notre site accueil@grandlargue.asso.fr
j’ai apprécié de te lire , je suis vos billets 🙂
Bonne fin de grossesse à toi Sarah !!! Marseille ce sera genial et le vieux port est très beau ! N’oubliez pas de visiter le MUSEM !!
Bon vent
sophie