Nous voici donc partis d’Eivissa (Ibiza), cap sur Carthagène. Huapaé est toujours avec nous, et comme d’habitude, ils sont plus rapides mais font une moins bonne moyenne. Cette fois, c’est une énorme bonite qui les ralentit : ils passeront plus d’une heure à la remonter, pour finalement voir leur ligne casser à quelques mètres du but, rageant ! Le début de la route est très agréable, mais le vent tombe avec la nuit, et c’est au moteur que la suite des évènements s’organise.
L’évènement marquant de la traversée est probablement le croisement d’un énorme cargo sans AIS, pourtant obligatoire pour tous les gros bateaux. Heureusement, Sarah veille et a repéré ses feux de navigation, et il est parfaitement visible au radar. Elle n’a pas rêvé, puisque Huapaé aussi l’a vu. Tout ça me rappelle notre conversation avec JP, le capitaine de Diatomée : il n’a pas d’AIS à bord – pas même un récepteur – et considère que le radar est la seule manière fiable de naviguer. Au vu de la nuit que nous venons de passer, son discours résonne à mes oreilles, même si je reste convaincu que l’AIS et le radar ne sont pas incompatibles, au contraire. Au passage, Stephane (et son radar flambant neuf) et Olivier (et son vieux radar de vingt ans) m’affirment tous deux pouvoir discerner une bouée de pêcheur à plusieurs centaines de mètres par temps calme. De mon côté, mon radar n’« accrochait » pas Huapaé à seulement quelques milles : il a beau être en bois et ne pas avoir de réflecteur radar, je commence à me dire que mon radar, ou ses réglages, ou peut-être son opérateur ont peut-être besoin d’une petite mise à jour…
L’autre fait marquant, c’est qu’après plusieurs semaines passées avec Huapaé, on a enfin vu ce qu’il avait dans le ventre. Dans les 5 noeuds dont Eole nous gratifie, nous allons – comme eux- à environ 5 noeuds … sauf que nous sommes au moteur et eux à la voile. Nous avions envisagé de nous arrêter àla Mar Menor, mais le très faible tirant d’eau– ça passait juste juste pour Lucy et pas du tout pour Huapaé, la côte encombrée d’immeubles modernes version front de mer sur la côte d’Azur, et la réputation qu’a l’endroit d’abriter des hordes de méduses nous font changer d’avis, et nous allons donc directement à Carthagène. Nous faisons juste un stop technique pour la nuit un peu avant l’arrivée afin d’entrer dans le port de jour, tandis que nos compagnons de route s’envolent au large et arrivent en fin d’après midi.
Nous avions prévu d’aller dans le même port que l’an dernier, le très côté « Yacht Club de Cartagena », mais Huapaé s’est arrêté à l’autre, moins cher et tout aussi bien sur le papier (l’avenir nous prouvera que non). Stephane achève de me convaincre avec la présence d’un Burger King juste en face du ponton. Après près d’un mois sans mettre un pied dans un port, la junk food a ses attraits, même si elle fait partie de ces plaisirs dont on se rend compte après coup qu’on n’en avait pas vraiment envie…. La manœuvre se fait sans propulseur, puisque celui-ci est en panne, mais l’absence de vent et la présence d’un marinero sur le quai rendent la chose assez facile, sans compter que les copains nous ont gardé une super place !
Les pavés de la vieille ville piétonne diffusent une douce chaleur une fois le soir venu, et les bars à tapas débordent de clients. Il y a aussi un immense marché couvert où les prix défient toute concurrence et des boulangeries dont le pain tient la comparaison avec la France, c’est suffisamment rare pour être souligné. Le mois de novembre semble être un mois de fête, et certains endroits ressemblent à une foire géante pendant le week end ; bref, la ville est super vivante ! A quelques kilomètres de là, les banlieues dortoirs se suivent et se ressemblent, jusqu’à la zone industrielle où nous nous rendrons à plusieurs reprises pour acheter du matos ; entre autres, la visserie en inox A4 se vend au kilo, et nous faisons vœu de ne plus jamais en acheter en grande surface de bricolage, et encore moins chez les ship(chandlers).
Nous avons quelques jours pour rendre le bateau présentable avant l’arrivée des beaux-parents, car après un mois, le bateau n’est ni très propre ni très rangé. Ils viennent de France en fourgonnette, et ce n’est pas de trop au vu de la quantité de commandes internet qu’ils ont reçues pour nous, au premier rang desquelles les fameuses batteries qui doivent rendre à Lucy son guindeau et son propulseur. Après avoir déballé tout ça, il me reste tout de même un immense carton rempli de bébés cartons vides, que je laisse sur le pont en attendant de les jeter au recyclage, le lendemain. Au milieu de la nuit, des pas sur le bateau ; un jeune homme est gentiment venu nous délester de nos ordures … ils sont vraiment serviables, par ici, mais inutile de préciser que c’est écartés de 2m du quai par les pendilles que nous passerons le reste de notre séjour.
Elaya profite de ses grands-parents, les grands parents profitent d’Elaya, Sarah profite des baby-sitters, et j’en profite pour bricoler ; c’est que la liste des travaux s’accumule, j’ai même compilé une petite liste, sans trop savoir si je le faisais dans un but informatif pour vous, chers lecteurs, ou pour le plaisir égoïste de contempler le travail accompli.
Bref, ceux que ça intéresse peuvent déplier ci-dessous, tandis que les autres sauteront cet inventaire à la Prévert.- Les batteries de notre propulseur et de notre guindeau sont neuves, et nous avons au passage constaté que notre chargeur de quai était vraiment configuré n’importe comment, il donnait 13v aux batteries alors qu’elles en veulent 14 (!!!).
- Toujours sur le sujet batteries, notre moniteur de charge MasterVolt BTMIII était lui aussi configuré n’importe comment (Vincent, l’ancien propriétaire ne l’avait pas recalibré en changeant les batteries, il était donc persuadé d’avoir un parc de 225 ampères alors que Lucy en a 600, ce qui fait qu’on a été très conservateurs avec nos batteries jusqu’ici ; mais mieux vaut ça que le contraire). On a aussi installé un autre moniteur de batteries utilisant une technologie différente (SmartGauge, ça fera l’objet d’un article séparé).
- Notre pompe à eau douce à l’agonie a été remplacée par une neuve, modèle identique (Jabsco Par Max 2.9). La nouvelle est moins bruyante mais toujours aussi neurasthénique. On commence sérieusement à envisager d’installer un modèle un peu plus haut de gamme.
- Nous avons maintenant des jauges d’eau douce qui fonctionnent !
- Nous avons poursuivi notre lutte sans merci contre le 220V à bord en installant deux ports USB et un allume cigare supplémentaire à la table à carte.
- Nous avons installé un splitter d’antenne actif, pour que notre AIS utilise l’antenne de tête de mât. Notre ancien splitter salopait tellement notre réception VHF que nous l’avions débranché : on captait parfois mieux avec notre VHF portable qu’avec la fixe !
- Une des diodes indiquant la position (haute ou basse) de notre propulseur avait décidé de griller pile au moment de notre petit souci à Ajaccio, ce qui n’avait pas vraiment simplifié le diagnostic sur le moment; elle a été remplacée par une neuve.
- Le thermostat de notre frigo avait passé l’été à nous faire des blagues : il décidait de prendre une pause d’une demi-heure alors que le frigo était à 10°, ou de faire des heures-sup alors qu’il était à -2° … Bref, il a été remplacé par un contrôleur externe qui, en prime, nous affiche la température en temps réel.
- La vie au port nous a rappelé l’importance d’avoir des rideaux : nous avons donc maintenant des tringles sur toutes les fenêtres, ainsi que deux gros rouleaux de tissu (dont une douublure isolant de la chaleur et du froid). Nous avons aussi une machine à coudre, mais toujours pas de rideaux !
- Notre moteur hors bord avait grand besoin d’une cure de jouvence. Il a retrouvé sa marche arrière, une turbine neuve, de l’huile d’embase et de l’huile tout court vidangée, un carburateur propre, etc. Je ne remercierai jamais assez Pierre et Olivier pour leurs conseils et leur aide !
- Notre moteur inboard (oui je sais, j’aurais dû écrire outboard au-dessus du coup, mais c’est comme ça) réclamait aussi nos bons soins depuis longtemps. Il a donc reçu des filtres diesel et huile neufs, de l’huile neuve y compris dans son inverseur, et une turbine neuve. Comme d’habitude sur un bateau, j’en ai profité pour découvrir de nouveaux problèmes comme le disque d’accouplement moteur fissuré ou les robinets de purge du liquide de refroidissement bouchés. Avec l’habitude, je ne suis même plus dépité…
- On a maintenant des bandes réfléchissantes et des bandes orange en tête de mât. Pratique pour identifier son bateau au mouillage de nuit en annexe : un petit coup de frontale sur les mâts, et hop, Lucy répond ! Merci à l’équipage de Paa pour l’astuce et la mise en place, pièces et main d’oeuvre, la totale !
- Nos winchs ont retrouvé une nouvelle jeunesse. Enfin, sur nos 8 winchs, 6 sont comme neufs, les deux autres étant temporairement hors-service, le sel s’étant accumulé entre la platine et le mât, jusqu’à carrément déformer et fissurer leur base : de l’importance d’une bonne isolation plastique entre un winch et un mât en aluminium (et de faire régulièrement des services de winchs…)
- Nous avons remplacé tous les sandows cassés ou abîmés à droite à gauche, et en avons installés de nouveaux pour caler deux-trois babioles en navigation
Huapaé part assez tôt pour les Canaries, tandis que nos amis de Diatomée et de Paa arrivent pour l’hiver. Quant à Gorgona, ils prévoient de rester deux semaines environ, puis de profiter d’une bonne fenêtre pour rallier Gibraltar. On profite donc bien des copains (des paquains comme dirait Tom) et de la gastronomie locale, mais l’appel du large se fait un peu plus pressant chaque jour : nous n’avons pas choisi cette vie pour vivre en ville, et la nature et l’aventure nous appellent. Quelques jours avant notre départ prévu, Gorgona se fait délester d’un vélo qu’ils avaient laissé – attaché – sur le ponton. Ils en rachètent un le lendemain, et cette fois les voleurs montent carrément sur leur bateau pour s’en emparer ! Autant dire que le jour suivant, en voyant un loustic patibulaire prendre nos voiliers en photo, avec gros plans sur les moteurs des annexes, Olivier appelle la Guardia Civil. Et quand le loustic revient quelques heures plus tard pour le menacer, on se dit qu’on va peut-être avancer un peu notre départ…
Lucy est tranquillement mouillée à quelques milles à l’Ouest, au Cabo Tiñoso, qui n’a rien à envier aux plus belles calanques des Baléares. Nous sommes partis avec un bateau qui fonctionnait à peu près, mais la première casse ne s’est pas fait attendre : notre bac de douche a cédé sous mon poids. Les mauvaises langues diront que Burger King n’y est peut-être pas totalement étranger ! Et c’est reparti pour le bricolage…
Je me tue à asséner à tous ces naïfs qui pensent pouvoir naviguer sans radar qu’ils vont inévitablement aller dans le mur ou plutôt la muraille d’un navire dont l’AIS est en standby ou en panne…Et des naïfs, il semble y en avoir des tas !!!
Oui, c’est clair. De toute façon, il n’y a pas de secret, dans l’idéal, chacun devrait avoir un radar (et savoir l’utiliser), un bon réflecteur radar, le cas échéant un mer-veille, un émetteur et un récepteur AIS, et exercer une veille attentive …
En pratique, tout le monde n’est pas équipé de tout ça (en ce qui nous concerne, pas de mer-veille), et surtout il y a un monde entre rester sur le pont a guetter des feux toute la nuit et regarder une série sur l’ordi en sortant la tête par le hublot une fois de temps en temps …