Ça fait maintenant un an que nous vivons à bord de Lucy ; un an que nous avons quitté nos travails, nos amis, notre chat, et le confort angoissant d’une vie sans surprises, mais avec de l’eau chaude à volonté.
Je dis un an parce que c’est factuel, mais nous avons l’impression d’en avoir vécu dix. Changez trois fois de ville en une semaine, et la première vous donnera l’impression d’un lointain souvenir. Pour notre nouvel an à Cadix (au Sud de l’Espagne), nous avions peine à croire que nous étions encore en Bretagne deux mois plus tôt. Et puis, le ventre de Sarah s’est arrondi, nous nous sommes sédentarisés à Marseille, et le calendrier a repris son écoulement normal. Ces trois mois sont passés trop vite, presque gâchés malgré les nombreux bricolages, et heureusement qu’Elaya est arrivée pour distendre à nouveau la matrice temporelle de nos vies : Sarah a maintenant l’impression que sa dernière vraie nuit remonte à l’an dernier.
A Paris, tout notre entourage avait à peu près notre âge et notre background. La vie de live-aboard hors-saison a été l’occasion de rencontres hautes en couleurs. A cette période, on croise pas mal de jeunes qui ont tout plaqué pour partir vivre une vie différente, avec des moyens financiers très éclectiques. Un des bateaux les plus mignons qu’on ait vus a été acheté à l’état de quasi épave 3 ans plus tôt et intégralement retapé par ses propriétaires fauchés en récupérant des pièces dans les poubelles de chantiers nautiques. D’autres ont monté de vrais projets professionnels, comme nos amis d’Atao-plongée qui triment pour rembourser leur vieux cata-école de 50 pieds – là aussi, le plus joli cata qu’on ait jamais vu, d’ailleurs. Nous avons aussi croisé de vrais vagabonds des mers, comme ce vieux loup de mer écumant les océans sur son Joshua depuis toujours. Et puis, il y a des retraités, parfois sur des voiliers valant plus d’un million. Tout ce monde partage joyeusement coups de mains, conseils et apéros comme si l’argent n’avait aucune importance ; peut-on vraiment leur donner tort ?
La convivialité de mise dans ce petit monde est impressionnante. On se comporte avec les gens qu’on croise sur un ponton ou dans un mouillage comme deux compatriotes qui se croiseraient au fin fond de la Mongolie. Certains disent que c’est d’affronter un danger commun – la mer – qui crée ces liens. Peut-être est-ce aussi lié à la solitude du marin. Nous sommes trois, mais nos amis sont loin, et ça permet de ne pas trop rester en vase clos ! En tout cas, là encore, on peine à se rappeler un temps où l’on ne connaissait même pas nos voisins de palier…
Côté pratique, vivre sur un voilier, c’est avant tout bricoler pour ne pas se laisser submerger, au propre comme au figuré, le sujet le plus chronophage étant de très loin la plomberie. Lucy a 17 ans, ses tuyaux aussi, et depuis le début de notre périple nous avons eu droit à deux pompes de toilettes en grève, une fuite d’eau sous l’évier, une autre sous le lavabo, une jauge d’eau douce facétieuse, de multiples problèmes d’évacuation d’eau, un chauffe-eau farceur qui vide l’intégralité de notre réserve d’eau douce par-dessus bord, et enfin, pour finir par le plus drôle, une vanne trois voies d’évacuation des eaux noires (cad des toilettes) qui me reste dans les mains. Le mois dernier a donc été consacré à une réfection intégrale de la plomberie, et j’espère – sans toutefois me faire trop d’illusions – qu’on est tranquilles pour dix ans.
Et côté voile ? Nous avons recroisé très fortuitement Antoine, qui nous avait aidé à prendre en main Lucy en mai dernier. « Vous avez dû pas mal progresser », m’a-t-il dit. Curieusement, pas vraiment. On apprend beaucoup de choses sur un voilier de grande croisière, mais certainement pas la voile. Nous avons probablement fait moins de virements de bord en un an avec Lucy qu’en un stage d’une semaine aux Glénans. Nous ne barrons qu’en cas de circonstances exceptionnelles – grosse tempête ou mal de mer. Notre objectif un peu naïf de nous passer de GPS s’est heurté à la réalité : même si on pouvait s’offrir toutes les cartes papiers nécessaires, il nous faudrait un deuxième voilier pour les stocker. Par contre, nous avons appris à changer un filtre Diesel, à lire une carte météo, à planifier un voyage, à jeter l’ancre dans un mouillage encombré, à manœuvrer dans un port étroit sans rien casser, et bien d’autres choses « autour » de la voile.
Nos meilleurs souvenirs pour cette année ? Les rencontres impromptues avec des marins de tout bord. Xav et Nat, Jimmy et Bénédicte, Bruno et Sylvie, Gaëlle, Cédric et Manouche (rassurez-vous sur le prénom, c’est leur chat, pas leur fille), Pierre et Aline, Olivier et Chloé, Cécile et JP, Nick, Fabien et Aude, les multiples bambins qui vont avec, et tous ceux avec qui on a perdu le contact mais dont on s’est dit qu’ils étaient vraiment trop cool quand on les a rencontrés !
L’autre gros coup de cœur, ce sont les mouillages magnifiques et déserts à cette période ; Ria de Camarinas, Cabo de Gata, c’est de vous qu’on parle. Et puis bien sûr, on a eu droit à de vraies traversées plus ou moins mouvementées, avec pas mal d’adrénaline même si on n’a jamais vraiment eu peur pour nos vies ; on fait tout pour éviter le gros temps, mais après coup, quand tout s’est bien passé, il laisse de sacrés bons souvenirs !
Mention spéciale pour Lucy, que nous aimons comme au premier jour – et même plus, me souffle Sarah – après 3000 milles en sa compagnie. Elle est rassurante dans la tempête, confortable au quotidien, et nous vaut en plus régulièrement des regards approbateurs de connaisseurs croisés au hasard de nos pérégrinations. Merci à Vincent de nous l’avoir transmise en si bon état, et à Jean-Yves avant lui pour les mille petits aménagements astucieux qu’il a imaginés et réalisés !
Au rang des déceptions, je citerai les tapas espagnols plus gras que succulents, le roulis au mouillage qu’on n’a pas encore vraiment apprivoisé malgré de nombreuses tentatives macgyver-approved, et le timing serré que la grossesse nous a imposé, entre échographies planifiées et arrivée obligatoire à Marseille en mars. Rien de très grave, donc !
Sarah et moi passons désormais presque 365 jours entiers par an ensemble, et c’est un gros changement aussi. Nous avons dû apprendre à nous laisser du temps pour nous, et aussi à supporter les phases où l’autre a juste envie de se poser un peu pour bouquiner ou jouer à l’ordi alors qu’il y a tant de choses à faire à bord. Nous avons appris à nous faire confiance et à dormir au milieu d’une tempête ou à rester calme au milieu d’une manœuvre de port mal engagée. Maintenant que la dynamique « à deux » semble s’être stabilisée, nous voici trois, ce qui va probablement aussi apporter son lot de chamboulements divers, mais ça, c’est pour le bilan de l’année prochaine.
L’année prochaine, justement, nous avons prévu de redescendre tranquillement jusqu’aux Canaries après avoir passé l’été en Corse. Au printemps 2018, Elaya aura 9 mois, et sa maman a décrété que c’était assez vieux pour traverser l’Atlantique. Une fois de l’autre côté, nous verrons bien !
Oh non, Nael est trop déçu d’apprendre que sa future copine ne le rejoindra qu’au printemps 2018 !! Il croise les doigts pour que sa maman change d’avis. La vie sur l’eau c’est trop à l’aise blaise ! Tant qu’il y a mes jouets, la poitrine de maman, le transat, le grand lit de la cabine arrière ou même les coussins sur le fond du bateau, je suis le roi des flots.
voyager en voilier c’est entrer dans l’horloge du temps qui passe , moi je suis parti en 1990 avec femme et enfants (8&10 ans) parcouru plus de 200 000 milles avec 2 voiliers entre Méditérrannée et Atlantique , (retour en France tout les étés pour remplir la caisse de bord) et durant 15 ans 6 mois passé aux îles du cap-vert ; un naufrage et toutes les aventures possibles de ceux qui vivent en permanence sur l’eau pendant 25 ans , il y a une leçon à tirer ; prendre le temps de découvrir au hasard des éscales et passer du temps avec ses rencontres pour ne rien regrèter , continuez votre beau voyage, passez au banc d’Arguin ,les Canaries ou, hors de ses sites hyper touristiques se cache des endroits magiques, ne loupez pas le cap-vert là ou les guides ne disent rien ou pas grands choses , bon voyage !!!
Ca fait rêver de croiser des gens qui vivent cette vie depuis toujours. Pour nous c’est encore tout nouveau, mais on espère bien naviguer encore dans 20 ans, quand la petite Elaya sera grande 🙂
On pense passer l’hiver aux Canaries, j’espère qu’on aura l’occasion de découvrir la magie dont tu parles, et peut-être de te croiser un jour sur l’eau ? Comment s’appelle ton voilier ?
Bah rassurez vous, les virements de bords on les apprends sur le tas… Comme tout le reste d’ailleurs. On est parti comme vous après quelques stages glénans, à bord d’un GS 34 de 10m. On est allé un peu plus loin que vous pour l’instant puisque nous sommes maintenant en Nouvelle Calédonie (par Panama) , mais il faut dire qu’on n’a pas eu de passager clandestin…
En tout cas vous avez 1000 X raisons, le plus sympas dans le grand voyage ce sont les rencontres. Les plus belles qu’on ait fait nous se trouvaient aux Marquises, un peuple incroyable !
Pour l’âge minimum pour la traversée, on a croisée des copains qui l’ont fait alors que le petit dernier avait 7 mois, ça s’est passé sans problème. (Des allemands, sur le bateau ZigZag : http://www.zig-zag-um-die-welt.de/zig-zag-crew/ ). Si vous avez des questions sur la gestion d’un nouveau né en mer, n’hésitez pas à leur poser toutes les questions que vous voulez, ils sont adorables et Georg est même francophone.
On vous souhaite bon vent, et qui sait, on se croisera peut être un jour sur l’eau…
Les Marquises, un de nos rêves … Vous avez en effet pris pas mal d’avance sur nous ; depuis quand êtes vous partis ? Et comment s’est passé Panama ?
On garde l’adresse de ZigZag dans un coin ; on a aussi la chance d’avoir croisé la route de l’équipage de PAA, dont le petit Tom précède Elaya d’un peu plus d’un an. Ils nous ont donné beaucoup de bons conseils et …. beaucoup d’habits ! Merci encore, les PAAs 🙂
Et vous, avez vous un blog ? J’imagine que votre voilier s’appelle Yaga ? A un de ces jours peut-être, à l’autre bout du monde !
Salut Brann,
Si tu veux des conseils sur les guindaux, les voiles ou les peintures antifouling, j’y connais (toujours) rien. Par contre, pour ce qui est de te donner envie de passer dans le Pacifique, je connais un site extraordinaire: http://www.laruel.be Si un jour, tu as besoin d’un conseil et que tu veux l’avis d’un voiliste et non d’un voileux, vacanceur de surcroit, n’hésite pas à me contacter!
Bon vent
Le Costa Rica est dans notre ligne de mire pour l’été prochain, on aura peut être l’occasion de se croiser ! Vous y êtes depuis combien de temps ? Coté Pacifique si j’ai bien compris ?
Et oui, on ne peut être qu’admiratif devant cette aventure « marine » et humaine, nous avons presque tous un truc de fou comme ça dans le coin de la tête, mais combien ce lance dans l’aventure….
Bravo et bon vent!
merci ! Si la lecture de ce blog peut aider à donner à quelqu’un le petit coup de pouce de motivation nécessaire pour changer de vie, on aura tout gagné !
Bonjour et merci du récap car on débarque au milieu de votre passionnante aventure que l’in va suivre de près ! Ici, plus modestement on apprend la voile sur un First210 dans l’objectif de voir plus grand 😉
Bon vent !
Bravo pour ce texte très attachant.
Bonne continuation et bonnes et belles nav.
Merci, super blog , très bien documenté.Veronique