Mare Nostrum 2


Nous sommes un peu tristes de quitter Cadix, et avec elle nos nouveaux amis de Paa et d’Aléane, mais il faut que nous avancions si nous ne voulons pas prendre trop de retard sur notre planning (Valence début février avec la mère de Sarah, Barcelone début mars avec ma cousine Laura, la Côte d’Azur fin mars pour honorer notre rendez-vous avec Honza et Camille au ski…).

Le passage du détroit de Gibraltar nous intimide un peu : il y a de gros cargos partout, quoiqu’en théorie bien organisés en rails, sortes d’autoroutes maritimes, nous autres petits voiliers n’étant censés que les traverser, si possible perpendiculairement, tandis que les cargos y sont cantonnés comme le riz. C’est que ces mastodontes des mers ont une telle inertie qu’il leur faut souvent plusieurs milles pour s’arrêter. Le souci, c’est qu’il faut bien que ces géants aillent du rail au port et du port au rail, et qu’en pratique, en particulier à Gibraltar, il y en a partout : on nous a donc recommandé de passer le détroit de jour.

L’autre problème du détroit, ce sont les courants de marée. Assez logiquement, quand l’eau monte, il y a un courant qui amène la couche d’eau supplémentaire ; on l’appelle le flot pour la marée montante, et le jusant pour la descendante. En pratique, quand on va parallèlement à la côte, d’un endroit où il y a des marées (l’Atlantique) à un endroit où il n’y en a pas (la Méditerranée), il est à peu près impossible de savoir ou il va porter sans recourir à une carte de courants. Or, les trois cartes sur lesquelles nous avons mis la main sont contradictoires, quoiqu’elles semblent tout de même s’accorder pour dire qu’on commencera à avoir du courant dans le bon sens à partir de 14h, ce qui ne nous arrange pas forcément au regard de notre objectif de passage de jour.

Enfin,  le détroit de Gibraltar est plus facile à passer dans notre sens car il y existe un courant permanent (en sus des courants de marées) qui porte à l’Est. Ce courant vient compenser l’eau perdue en Méditerranée par évaporation, et ne disparaît qu’en cas de vent d’Est soutenu pendant de longues semaines, ce qui n’arrive jamais, sauf ces trois dernières semaines bien sûr …. Aux lecteurs attentifs qui s’étonneraient qu’un courant d’Est puisse s’opposer à un vent d’Est, je répondrai qu’on indique toujours la direction ou un courant « porte », tandis que pour un vent on utilise le point cardinal d’où il vient. Encore un truc pour embrouiller les terriens …

Les nouveaux salons de coiffure flottants ?

Après une étape intermédiaire à Barbate, une balade dans sa magnifique pinède classée « parc naturel », une rencontre avec d’étranges bateaux affublés d’appendices qui ressemblent à des casques de coiffeur – il y a sans doute une explication rationnelle – et pas mal de chats croisés, dont un qui n’oubliera pas de sitôt les chutes de notre saumon, nous voici fin prêts à franchir le fameux roc de Gibraltar. La météo indique de la pétole (3 nœuds dans le nez), jusqu’à subitement se raviser et indiquer 20 nœuds dans la même direction, sans préavis, alors que nous sommes déjà en route… Nous avions entendu que la météo était particulièrement imprévisible en Méditerranée, mais nous sommes encore en Atlantique, que diable…

Le parc naturel « de La Breña y Marismas del Barbate »

Le rocher qui se découpe dans la pénombre est majestueux, mais malheureusement impossible à prendre en photo depuis un socle mouvant comme l’est Lucy. Ce sera le seul moment intéressant de notre navigation jusqu’à Malaga, le reste du temps étant consacré à surveiller les cargos et à vérifier l’absence de bouées de casiers sur notre trajet. Ces bouées sont notre hantise, surtout au moteur. Si Lucy a la mauvaise idée de passer pile sur l’une d’elles, le câble risque fort de s’emmêler dans notre hélice, ce qui la bloquera net, fera caler notre moteur, et impliquera une plongée pas forcément souhaitée dans des eaux pas forcément chaudes… A la voile, notre hélice se replie, et les bouées qui se prendraient dans nos safrans finiraient par lâcher prise. Scruter les bouées est assez fatigant, car beaucoup sont constituées de simples bonbonnes de lait flottant à la surface sans aucun balisage. Merci donc aux pécheurs qui prennent la peine de gréer un fanion orange au bout d’un piquet vertical sur leur gagne-pain.

 

Mousquetaire, Picasso

Malaga, où nous arrivons à l’aube, nous fait comprendre que nous sommes maintenant en Méditerranée. Nous sommes dans une minuscule Marina à 70€ la nuit, autant vous dire qu’on n’y restera pas. Même le marineiro me concédera que c’est peut être « un poco caro » ( tu m’étonnes, c’est plus que ce qu’on nous demandera pour 5 jours à Almerimar, notre étape suivante). De l’autre côté du quai, un immense paquebot déverse des hordes de touristes dans une musique style Disneyland. Epuisés, nous allons nous coucher ; à notre réveil en début d’aprèm la plage est bondée. De Malaga, nous retiendrons le très sympa musée Picasso, et pas grand-chose d’autre. Nous quittons donc sans regrets le Real Club Mediterraneo, cap sur Almerimar.

Le très joli bâtiment du musée Picasso, au soleil (presque) toute l’année

Nous l’attendions pour Malaga, mais c’est finalement là que nous prenons notre première pendille. Pour ceux qui s’interrogent et pour faire court, en Atlantique, les marées obligent les ports à être un peu ingénieux, puisque les pontons doivent monter et descendre au gré des marées. Ou alors, les pontons sont fixes, mais ce sont les marins qui doivent ajuster la longueur de leurs amarres en permanence. D’où le système de « catways » en vigueur en Atlantique, avec ses passerelles d’accès parfois plus pentues qu’un tremplin de saut à ski. En Méditerranée, où les marées n’excèdent pas quelques dizaines de centimètres (alors qu’elles peuvent atteindre 10 mètres en Bretagne et plus de 20 mètres au Canada), on peut se permettre de s’amarrer à un ponton « fixe » à une extrémité, et à un cordage fixé au fond de l’eau à l’autre. C’est ce cordage qu’on appelle la pendille. Comme toute nouvelle manœuvre, c’est un peu intimidant, surtout que Benjamin, notre propulseur d’étrave, après de longs mois sans broncher, a décidé de nous lâcher. Il faut dire qu’à Malaga, nous l’avions laissé tremper toute une matinée dans l’eau au lieu de le remonter à l’abri dans notre coque immédiatement après la manœuvre d’arrivée (oops). Le départ de Malaga fut d’ailleurs un peu « original », avec un pré-pivotage manuel, par amarrage du bateau sur le catway voisin, en travers de la double place, pas très « école de voile » mais tout à fait efficace, et c’est donc à nouveau sans ce précieux appendice nasal que Sarah nous propulse (non sans quelques difficultés) dans une place en mode suppositoire, avec du courant et du vent de travers s’il vous plait. Et après une nuit quasi-blanche. Si vous êtes d’humeur moqueuse, regardez la vidéo ci-dessous (alerte spoiling : désolé, ça se termine bien).

Nouvel amarrage, nouvelles problématiques. Nous avons mis l’avant à quai (comme tout breton qui se respecte, et puis au vu des conditions la marche arrière relevait du cirque Pinder), mais cela implique de descendre par l’étrave : un peu acrobatique, en raison de la hauteur du franc-bord de Lucy. L’alternative, l’arrière à quai, permet de prendre l’apéro sur un super yacht en se faisant admirer par les passants à St Trop’, mais notre annexe sur bossoirs compliquerait grandement la descente. Nous ne sommes pas les seuls avant à quai, mais tous les autres semblent posséder, qui une échelle sur mesure, qui une passerelle. Nous n’avions jamais soupçonné l’existence de ces raffinements lors de notre première année en Atlantique, mais il va falloir que nous nous y mettions. En attendant, les allées et venues seront un peu sportives, voilà tout.

Ici aussi, c’est un peu Disneyland, mais un Disneyland différent. Le port est tout neuf, et la ville sembe s’être construite autour. Les immeubles sont proprets, il y a des petites tourelles au bout des bâtiments, des restos et des terrasses un peu partout. Pas mal de voiliers semblent hiverner là, soleil et petit prix oblige, mais il n’y a vraiment pas grand-chose à faire ici à part bouquiner sur un transat … et admirer les somptueuses montagnes enneigées qui offrent un fond carte postale à la ville.

Nous n’y serions pas restés si longtemps si je n’avais pas donné à Sarah la première occasion d’utiliser son kit de suture, ma jambe ayant décidé de passer au travers d’un panneau de pont ouvert. Ma jambe à l’exception d’une petite bande de peau de quelques centimètres qui décida de faire son intéressante et de rester accrochée au panneau coupable. Cinq points de suture plus tard et un pansement (et ce sans avoir à attendre 6 heures dans une salle d’attente bondée), le docteur me recommandera quelques jours de repos.

Après deux jours de convalescence, nous appareillons pour Almeria dont nous voulons visiter la Cathédrale et l’impressionnante citadelle. La Cathédrale ressemble plus à un château fort qu’à une église, et le mélange est vraiment majestueux. Sa visite, en revanche, nous laisse un peu sur notre faim. De l’intérieur, c’est une vulgaire église avec un audioguide qui s’extasie sur des toiles sans grand intérêt à nos yeux profanes, et l’on ne peut même pas visiter ses remparts et son toit plat, inhabituel pour une église, mais assez logique quand on sait que les habitants y installaient des canons pour contrer les attaques des pirates…

La cathédrale fortifiée d’Almeria

La citadelle, pour le coup, ressemble vraiment à une citadelle. Elle est magnifique, et envahie par des hordes de chats ; autant dire que nous sommes tous deux aux anges. C’est un vrai plaisir que de déambuler ainsi dans ce site exceptionnel et totalement désert : les joies du tourisme au moins de janvier ! Comme il y a trop de jolies photos, vous avez droit a un diaporama !

Notre prochaine étape sera le Cabo de Gata, magnifique parc naturel à la pointe Sud-Est de l’Espagne. Nous espérons y retrouver la nature sauvage qui nous avait tant plu dans les rias de Galice, le soleil en plus !

 


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2 commentaires sur “Mare Nostrum